Cour Européenne : Tout lien vers un contenu illégal est une violation du droit d'auteur

Dans une décision qui est déjà controversée, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a statué en faveur des propriétaires de droits et contre les liens hypertextes. Et ce ne serait pas la première fois, me semble-t-il…

Cour Européenne : Tout lien vers un contenu illégal est une violation du droit d'auteur

L’arrêt de la CJUE, bien que motivé, ouvre là de fortes possibilités que les éditeurs de contenus Web, qui pointent des liens vers d’autres contenus externes jugés illégaux (n’ayant pas les droits), soient eux-mêmes poursuivis pour violation des droits de la propriété, comme le site vers lequel ils pointent des liens.

Les critiques reprochent déjà à la décision de la CJUE de créer une jurisprudence qui va porter atteinte à la libre circulation de l’information en ligne, et aller à l’encontre de la façon même dont l’internet a fonctionné jusqu’à présent.

En d’autres termes, l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) exerce maintenant une pression sur le dos des éditeurs de contenus qui devront désormais vérifier et déterminer si le contenu lié est légal ou une violation des droits de la propriété.

Ce qui ne sera pas toujours facile à faire…

Les faits jugés par la CJUE


Sur commande de Sanoma, qui est l’éditeur du magazine Playboy, le photographe M. C. Hermès a réalisé, les 13 et 14 octobre 2011, les photos en cause, qui devaient paraître dans l’édition du mois de décembre 2011 de ce magazine. Dans ce cadre, M. Hermès a accordé à Sanoma l’autorisation, à titre exclusif, d’y publier ces photos. Il a également accordé à Sanoma l’autorisation d’exercer les droits et pouvoirs résultant de son droit d’auteur.

GS Media exploite le site GeenStijl, sur lequel figurent, selon les informations données par ce site, « des nouveautés, révélations scandaleuses et enquêtes journalistiques sur des sujets amusants et sur un ton de joyeuse plaisanterie » et qui est consulté chaque jour par plus de 230 000 visiteurs, ce qui en fait l’un des dix sites les plus fréquentés dans le domaine des actualités aux Pays-Bas.

Le 26 octobre 2011, la rédaction du site GeenStijl a reçu un message de la part d’une personne utilisant un pseudonyme, qui comportait un lien hypertexte renvoyant à un fichier électronique hébergé sur le site Internet Filefactory.com (ci-après le « site Filefactory »), situé en Australie et dédié au stockage de données. Ce fichier électronique contenait les photos en cause.

Sanoma a sommé, le même jour, la société mère de GS Media d’empêcher que les photos en cause soient diffusées sur le site GeenStijl.

Le 27 octobre 2011, un article relatif à ces photos de Mme Dekker, intitulé « [...]! Photos de [...] [Mme] Dekker nue », a été publié sur le site GeenStijl, en marge duquel figurait une partie de l’une des photos en cause et qui se terminait par le texte « Et maintenant le lien avec les photos que vous attendiez. ».

Au moyen d’un clic sur un lien hypertexte accompagnant ce texte, les internautes étaient dirigés vers le site Filefactory, sur lequel un autre lien hypertexte leur permettait de télécharger onze fichiers électroniques contenant chacun une desdites photos.

Le même jour, Sanoma a adressé à la société mère de GS Media un courriel la sommant de confirmer que le lien hypertexte vers les photos en cause avait été retiré du site GeenStijl. GS Media n’a donné aucune suite à cette sommation.

En revanche, sur demande de Sanoma, les photos en cause figurant sur le site Filefactory ont été supprimées.

Par lettre du 7 novembre 2011, le conseil de Sanoma e.a. a mis GS Media en demeure de retirer du site GeenStijl l’article du 27 octobre 2011, y compris le lien hypertexte, les photos que celui-ci contenait ainsi que les réactions des internautes publiées sur la même page de ce site.

En d’autres termes, l’éditeur (GS Media) savait le caractère illégal du contenu vers lequel il pointant des liens, et ce, à plusieurs reprises. A ce niveau, il n’y avait aucun doute du caractère intentionnel de son comportement.

Les attendus de la CJUE


Extraits de ce que déclare la cour déclare :

À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte des considérants 9 et 10 de la directive 2001/29 que celle-ci a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public. Il s’ensuit que la notion de « communication au public » doit être entendue au sens large, ainsi que l’énonce d’ailleurs explicitement le considérant 23 de cette directive...

Il peut s’avérer difficile, notamment pour des particuliers qui souhaitent placer de tels liens, de vérifier si le site Internet, vers lequel ces derniers sont censés mener, donne accès à des œuvres qui sont protégées et, le cas échéant, si les titulaires des droits d’auteur de ces œuvres ont autorisé leur publication sur Internet. Une telle vérification s’avère d’autant plus difficile lorsque ces droits ont fait l’objet de sous-licences. Par ailleurs, le contenu d’un site Internet, auquel un lien hypertexte permet d’accéder, peut être modifié après la création de ce lien, incluant des œuvres protégées, sans que la personne ayant créé ledit lien en soit forcément consciente...

Par ailleurs, lorsque le placement de liens hypertexte est effectué dans un but lucratif, il peut être attendu de l’auteur d’un tel placement qu’il réalise les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mènent lesdits liens hypertexte, de sorte qu’il y a lieu de présumer que ce placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de ladite œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication sur Internet par le titulaire du droit d’auteur. Dans de telles circonstances, et pour autant que cette présomption réfragable ne soit pas renversée, l’acte consistant à placer un lien hypertexte vers une œuvre illégalement publiée sur Internet constitue une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprété en ce sens que, afin d’établir si le fait de placer, sur un site Internet, des liens hypertexte vers des œuvres protégées, librement disponibles sur un autre site Internet sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, constitue une « communication au public » au sens de cette disposition, il convient de déterminer si ces liens sont fournis sans but lucratif par une personne qui ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement pas connaître le caractère illégal de la publication de ces œuvres sur cet autre site Internet ou si, au contraire, lesdits liens sont fournis dans un tel but, hypothèse dans laquelle cette connaissance doit être présumée.

Cette décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne pourrait aussi avoir des répercussions évidentes sur les moteurs de recherche. Car, il va imposer une lourde responsabilité sur Google, Bing, Yandex, Yahoo ou tout autre "moteur de recherche", accessible en Europe, pour déterminer si les sites indexés et présentés dans les résultats de recherche contiennent des contenus non autorisés.

On se retrouve alors ici dans une extension implicite du droit à l’oubli qui oblige les moteurs de recherche à supprimer, en Europe, tout lien portant atteinte à l’intégrité morale d’une personne qui en fait la demande.

Il pourrait y avoir aussi, désormais, en Europe encore, l’obligation pour les moteurs de recherche de ne pas afficher de liens jugés illégaux par les détenteurs des droits de la propriété qui, se basant sur cette jurisprudence européenne, pourraient poursuivre en dédommagement les moteurs de recherche, voire tout autre site Web ou blog...